Gaston Cavaillon, ancien directeur commercial de la Compagnie parisienne, dépose le brevet de la 510 en décembre 1964, pour Mullca. L’entreprise dont il est le cofondateur est née après-guerre.
Elle utilise très tôt le tube d’acier pour réaliser des sièges proposés à des prix contenus. Une offre qui lui vaut des commandes pour les écoles ou l’armée. Parmi les pièces phares de son catalogue, il y a la Mullca 300, une chaise pour enfant doté d’accoudoirs, signé Jacques Hitier (1949), ou encore la Mullca 511.
« La chaise la plus laide du monde »
Éditée à partir de 1950, d’après un siège dessiné avant-guerre, cette dernière connaît un franc succès, d’autant qu’il faut meubler les écoles des enfants du baby-boom. Son design s'améliore au fil du temps : le bureau d’études Mullca s’attache à protéger la tranche du contreplaqué ou à renforcer la structure.
Le mobilier doit résister longtemps aux plus turbulents.
Le modèle - largement diffusé - commence malgré tout à lasser au milieu des années 1960…
Sur le site internet dédié au travail de son père, François Cavaillon raconte l’aversion d’Eugène Claudius-Petit pour l'esthétique de la Mullca 511 : en 1967, l’ancien ministre critique la politique d’achat du ministère de l’Éducation nationale à la tribune de l’Assemblée nationale. Il y dénonce le choix de « la chaise la plus laide du monde sur laquelle s’assoiront tous les enfants de France depuis l’âge de 2 ans jusqu’à 18 ans » !
Peut mieux faire…
Heureusement, le chef d’entreprise est prévoyant et son catalogue s’est déjà enrichi du fameux modèle 510.
Des années plus tard, plus de 12 millions d’exemplaires ont été diffusés et sa silhouette reste à jamais gravée dans la mémoire collective. Un succès lié à la conception. Pour dessiner cette icône du mobilier scolaire, Gaston Cavaillon et son bureau d’études ont relevé un défi : mieux faire… avec des prix comparables.
Comme la 511, sa charpente sobre est fabriquée à partir de tubes d’acier tordus à la presse et assemblés par brasage. Mais les lignes diffèrent : les montants du dossier de la Mullca 510 se prolongent pour former les jambes arrière, tandis que sur le modèle précédent, le tube du dossier serpente pour former l’assise puis le pied avant.
Son design épuré est pensé dans les moindres détails afin de lui garantir une longévité remarquable… même lorsqu’elle est soumise à rude épreuve. Le contreplaqué est serti dans le métal et l’assemblage, sans vis ni rivet, résiste aux multiples balancements de ses nombreux utilisateurs… et même si elle sert de projectile !
Enfin, l’assise supporte le poids d’une personne debout.
Pratique et mobile
L’entreprise souligne aussi divers avantages : l’angle des jambes arrière empêche le dossier d'abîmer le mur par frottement ; la forme de l’assise favorise la position droite de l’utilisateur.
Autres atouts pour les collectivités : sa mobilité. La chaise brevetée par Cavaillon en 1964 est relativement légère et empilable. Cette innovation déjà caractéristique de la 511 est optimisée.
Le succès est tel que Mullca peine à répondre aux commandes des établissements. En 1973, l’Union des groupements d’achats publics qui négocie des contrats-cadres avec des fournisseurs sollicite un accord de licence. D’autres fabricants, dont Lafa et Simire, vont alors produire la 510.
Dès 1980, la demande s’essouffle. La longévité du modèle restreint le renouvellement. La population scolaire stagne. Les attentes ne sont plus les mêmes : on critique le bruit des pieds métalliques qui s’entrechoquent. On pointe le confort limité du siège pour de longues journées de classe…
d’autant que la morphologie des utilisateurs a aussi changé.
La 510 passe à table
En 1985, le siège débute en revanche sa nouvelle carrière dans l’univers de la décoration intérieure : Habitat passe commande de pièces en noir satiné mat.
Si Mullca finit par faire faillite dans les années 1990, l’aventure continue néanmoins. L’entreprise Lafa, aujourd'hui détentrice des droits, reprend la fabrication pour les collectivités en 1996 : le design de la 510 est adapté aux normes actuelles pour l’ergonomie (les modèles sont plus grands). Soudures, assemblages et finitions sont aussi modernisés. Plus de 26 000 exemplaires de différentes tailles et couleurs sortent chaque année de l’usine du Cantal.
Depuis 2013, Label Édition commercialise à son tour la « 510 Originale », fidèle à celle imaginée par Gaston Cavaillon. « J’ai voulu être dans la continuité de Mullca, » explique Nicolas Girard, ravi d’avoir mis un coup de projecteur sur le créateur, jusqu’alors assez méconnu, de ce siège intemporel. Ces productions rétro accessibles « ciblent les magasins de déco haut de gamme, les restaurants et entreprises… Et curieusement s’exportent aussi du Danemark à l’Asie ! »
Pour les amateurs de vintage et les nostalgiques de leurs années d’école, rendez-vous sur les brocantes et salons pour chiner les fabrications d’hier à l’éternelle jeunesse.
Retrouvons-nous le 28 septembre à Paris pour Undesignable Market.
Cecile Ybert
Le marché
« Les chineurs utilisent ce type de pièce dans leur cuisine, en chaises d’appoint, et pourquoi pas autour d’une table de ferme » explique Julien Chamoux de la galerie Chez Cax - Brocante Vintage .
Leur look, leur histoire et leurs petits prix séduisent notamment « de jeunes couples qui s’installent, mais j’ai aussi vendu des séries à des cafés ou des restaurants à Paris. ». La plupart de modèles anciens se trouvent entre 30 et 70 €.
Pour en savoir plus :
- chaise-510.fr, pour authentifier une pièce et connaître l’ origine de Mullca .
- labeledition.fr, pour l’histoire de la marque et de l’entreprise .