Le plastique libère l’imagination des designers des années 70

Couleurs vives, transparences acidulées, formes inédites : dans les années 70, le plastique propulse le design dans une ère plus libre et démocratique.

Longtemps cantonné à l’industrie, il s’invite au salon, bouscule les codes et ouvre la voie à des objets légers, modulaires et accessibles. De la Panton Chair aux lampes futuristes, cette matière change notre rapport aux objets… et à la modernité.

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Günther Beltzig | Floris' table, vers 1967

Le design entre en phase plastique

Dans les années 70, un matériau domine l’imaginaire : le plastique. 

Déjà inventé à la fin du XIXe siècle, il profite alors des avancées techniques et des procédés industriels pour s’imposer massivement dans nos intérieurs. Après les rigueurs de l’après-guerre et les reconstructions des Trente Glorieuses, l’Europe bascule dans une modernité joyeuse, colorée et plus libre. 

Comme le souligne Richard Thommeret, chimiste et auteur de Plastiques et design (Eyrolles, 2013) : « Le plastique, développé depuis la fin du XIXe siècle, entre dans les années 70 dans une phase de déploiement industriel. » Plus qu’une simple matière, il devient le symbole d’une époque marquée par la libération des codes sociaux, l’émancipation des styles de vie et la démocratisation de la consommation.

Une matière synonyme de liberté

Dans les maisons, le plastique remplace peu à peu le bois, le verre ou le métal. Formica, PVC, Plexiglas (PMMA) ou polyuréthane ouvrent de nouveaux horizons. Les designers découvrent la possibilité de concevoir des formes inédites, aux couleurs vives et aux usages plus intuitifs. 

Le critique d’art Pierre Restany écrivait en 1973 dans Le plastique dans l’art : « Le plastique est plus flexible que le verre et tout aussi transparent, plus souple que la laine et tout aussi moelleux que le coton. » 

Cette malléabilité séduit les créateurs : tables aux transparences acidulées, sièges futuristes, lampes sculpturales. Le plastique incarne la modernité : mobile, léger, modulable et abordable. Il symbolise aussi une certaine idée de luxe démocratique, accessible à un plus grand nombre sans renoncer à l’audace.

Le mobilier s’ouvre aux expérimentations

Les années 70 sont une décennie d’expérimentation radicale. Les polymères deviennent le terrain de jeu de designers inventifs qui repoussent les limites de la forme.

Ugo La Pietra imagine ses lampes “cylindre et boule” (1968–1969) en PMMA transparent ; Joe Colombo crée sa chaise longue en polyuréthane (1969), à la fois futuriste et ergonomique ; K. Gôhling conçoit le fauteuil gonflable Blow-Up (1969), une bulle en PVC translucide qui annonce le design de l’air et du gonflable ; Busnelli édite le fauteuil Libro (1970), combinant rationalité et souplesse. 

À travers ces créations, le plastique rend possible ce qui ne l’était pas : des meubles plus légers, mobiles, empilables, produits en série et destinés à une clientèle plus large.

La Panton Chair, icône de la liberté formelle

Parmi toutes ces innovations, la Panton Chair demeure l’icône absolue. Dès 1959, le designer danois Verner Panton rêve d’une chaise moulée d’un seul tenant. 

Après plusieurs prototypes en bois ou en mousse rigide, il parvient en 1967, avec l’éditeur Vitra, à lancer la première chaise en plastique injecté renforcé de fibres de verre. « Je voulais créer une chaise qui ait l’air d’avoir été coulée comme de l’eau », expliquait Panton

Évoluant au fil des techniques (thermoplastique coloré en 1970, polyuréthane en 1983, puis polypropylène recyclable depuis les années 2000), elle devient l’un des sièges les plus emblématiques du design du XXe siècle : Ergonomique, empilable, colorée et accessible. Une véritable révolution formelle et culturelle.

Héritages et débats contemporains

Aujourd’hui, le plastique suscite autant de fascination que de critiques. Dans un contexte de retour aux matériaux nobles et durables, son image est souvent ternie par les enjeux écologiques. 

Pourtant, il reste omniprésent dans le design, souvent dans sa version recyclée ou recyclable. La chaise La Marie de Philippe Starck (1999), réalisée en polycarbonate transparent, a prouvé que le plastique pouvait rester désirable et intemporel.

Si l’histoire retient les excès d’une consommation trop massive, elle n’oublie pas que le plastique a transformé le rapport aux objets : il a permis aux designers de libérer leur imagination, de démocratiser l’accès au design et de donner à une génération entière l’idée que la modernité pouvait être colorée, joyeuse et accessible.

 


Vers un nouveau regard sur le plastique

Aujourd’hui, à l’heure où le design se tourne résolument vers des matériaux durables et des procédés écoresponsables, le plastique des années 60 et 70 se regarde différemment. Certes, il cristallise encore les critiques liées à la pollution et à la surconsommation, mais les pièces anciennes ont prouvé leur résistance et leur pérennité.

Un fauteuil en polyuréthane ou une chaise en ABS, bien entretenus, traversent les décennies sans perdre leur éclat. 

Restaurer, préserver et réutiliser ces objets vintage devient une manière responsable de prolonger leur cycle de vie, en leur donnant une nouvelle valeur dans nos intérieurs. Le plastique, hier symbole d’audace, peut ainsi aujourd’hui s’inscrire dans une démarche circulaire, où patrimoine et écologie se rejoignent.

Le mobilier est l’architecture à échelle humaine.

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