Aux frontières de l’art et de l’industrie
Né en 1926 à Lafayette (Indiana), Richard Schultz est formé au New Bauhaus de Chicago, l’Institute of Design fondé par László Moholy-Nagy. Dans ce lieu atypique, il apprend que la créativité compte autant que la technique, et qu’un objet doit se penser comme une expérience complète. Il touche à tout : architecture, photographie, graphisme, design produit.
Cette curiosité l’amène à rejoindre Knoll en 1951, l’un des éditeurs les plus innovants du design américain. Sa première mission : assister Harry Bertoia dans le développement de la Wire Collection. Dans l’atelier improvisé de Bertoia, Schultz découvre le travail du métal comme sculpture, l’importance des lignes et de l’équilibre. Cette initiation influence toute sa carrière : pour lui, le mobilier doit respirer, dialoguer avec l’espace, comme une forme vivante.
La poésie fonctionnelle de la Petal Table
En 1960, Schultz signe l’une de ses créations les plus célèbres : la Petal Table. Inspirée par la fleur sauvage appelée « dentelle de la Reine Anne », elle se compose de huit plateaux indépendants fixés à un pied central, comme une corolle ouverte. Chaque pétale peut se dilater ou se contracter, garantissant stabilité et résistance aux variations climatiques.
Schultz explique : « Mon idée, c’était de pouvoir regarder à travers les pétales comme s’ils flottaient, sans voir la structure. »
La table séduit par sa légèreté visuelle et sa précision technique. Récompensée par Industrial Design Magazine, elle est aujourd’hui considérée comme l’un des exemples les plus réussis de poésie fonctionnelle du XXe siècle.
Avec elle, Schultz démontre que le mobilier peut être à la fois sculptural et parfaitement adapté à un usage quotidien.
Le mobilier d’extérieur réinventé
La véritable révolution arrive en 1966. Installée en Floride, Florence Knoll demande à ses designers de concevoir un mobilier résistant à l’air marin et à l’humidité, mais sans perdre en élégance. Schultz relève le défi avec la Leisure Collection, rebaptisée plus tard 1966 Collection.
Fauteuils, transats et tables en aluminium perforé remplacent le bois qui rouillait et se dégradait. Résultat : un mobilier moderne, ergonomique, durable et surtout pensé spécifiquement pour l’extérieur — une première dans l’histoire du design.
Le MoMA de New York acquiert rapidement plusieurs pièces, consacrant l’importance de cette innovation. Schultz venait d’ouvrir un champ nouveau : celui d’un mobilier capable de conjuguer technicité industrielle et confort domestique, redéfinissant l’art de vivre en plein air.
Un créateur discret mais constant
Après avoir quitté Knoll en 1972, Schultz poursuit son travail avec d’autres éditeurs, puis fonde en 1992 Richard Schultz Design, aux côtés de son fils Peter. Sa production reste fidèle à son credo : légèreté, rigueur technique et poésie formelle.
Dans les années 1990, la Topiary Collection (sièges en métal découpé comme des feuillages stylisés) illustre cette recherche d’un mobilier à la fois fonctionnel et expressif. En 2010, la Fresh Air Collection repousse encore les limites de la légèreté structurelle.
En 2012, Knoll rachète officiellement son studio, rééditant ses modèles emblématiques et scellant la reconnaissance de son apport. Schultz, discret et sans excès médiatique, reste une figure respectée pour sa constance et sa capacité à faire évoluer son vocabulaire sans jamais renoncer à ses principes.
Héritage et postérité
En 2017, la maison Wright Auction à Chicago met en vente une partie de ses archives : prototypes inédits, sculptures de jeunesse, modèles jamais édités. Cette dispersion éclaire l’ensemble de son parcours, de l’expérimentation artistique à la production industrielle.
Schultz est aujourd’hui reconnu comme l’inventeur du mobilier de jardin moderne, mais réduire son œuvre à cette spécialité serait réducteur. Sa démarche relève d’un minimalisme sensible, où la technique ne gomme jamais l’émotion.
« La forme doit toujours rester lisible. Même dans un jardin, un meuble doit respirer », affirmait-il. Entre poésie et rigueur, Schultz a su créer un langage unique, dont l’influence se lit encore dans le design contemporain, de l’espace domestique aux terrasses urbaines.