Du dessin industriel à l’industrie globale
Après des études d’ingénieur et d’arts appliqués, Tallon rejoint d’abord Caterpillar France puis DuPont de Nemours, avant d’intégrer le bureau Technès en 1953, dirigé par Jacques Viénot. Roger Tallon, commence à travailler dans une Europe d'après-guerre ou le design s'invente progressivement et se confronte à l'idée d'esthétique industrielle.
Dès cette époque, il envisage le design non pas comme un simple façonnage esthétique, mais comme une réponse à un ensemble de contraintes : usages, industrie, économie. « La seule chose qui me passionne vraiment, c'est de résoudre des problèmes. Je voudrais appeler mon métier Problem Solver » disait-il. « J’aime les grosses choses, celles que personne ne pourrait résoudre à ma place ».
L'importance de son travail a façonné notre quotidien dans des objets aujourd'hui emblématiques. Pour Roger Tallon, designer ne s'arrêtait pas seulement à dessiner l'objet, mais surtout à comprendre son ensemble. C’est probablement avec Technès, au côté de J. Vienot, qu'il fera du design français, une véritable référence. « J'ai eu de la chance » disait-il.
Innover au quotidien comme pour la mobilité
Son œuvre couvre un spectre étonnant : appareils ménagers (réfrigérateurs, machines à laver, téléviseur portable Téléavia P111 en 1966 – un succès « culte »), mobilier iconique (chaise Wimpy pour la chaîne Wimpy, chaises modulaires Module M400, TS pliante et tabouret Cryptogamme) sans oublier les machines-outils, motos, convoyeurs aéroportuaires, projecteurs Kodak…
Dans les transports, il révolutionne le design ferroviaire : métro de Mexico, voitures Corail (1974), TGV Atlantique (1986), Eurostar (1987), funiculaire de Montmartre (1991), tram de Tours… Il pense couleur, signalétique, éclairage, ambiance intérieure, uniformes, cartes : un vrai design d’expérience.
Un précurseur du "design thinking"
Dans les années 1960–1970, Roger Tallon développe une « pensée design » systémique : l’objet ne se dissocie jamais de son contexte – ergonomie, packaging, marketing, environnement global.
« Le design ne consiste pas dessiner un objet puis à mettre en œuvre des moyens pour respecter ce dessin, mais de prendre en compte prioritairement les besoins auxquels doit répondre l'objets, les moyens techniques et économiques de sa réalisation, et d'en déduire son dessin ».
Pour Tallon, on ne design pas une table, on design un paysage qui enveloppe la table.
L'acte de designer n'est jamais isolé mais devient alors contextuel, le designer doit comprendre avant tout la nature des rapports entre les éléments. Il ne s'agit pas seulement de signer une forme, mais de construire un ensemble.
Il fondera en 1963 le département de design industriel à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, avant de fonder son agence Design Programmes, dix ans plus tard, en 1973.
Une vision holistique et humaine
Le design est avant tout une compréhension des rapports entre les éléments. Cette pensée, à la fois rationnelle et poétique — « métal qui coule dans l’espace » lorsqu’il évoque le trait de son rail — a profondément influencé le design industriel.
Une œuvre visible au quotidien
La plupart de ses créations, souvent invisibles à son nom, sont pourtant devenues des points de repère de notre quotidien : Téléavia, Wimpy, escalier M400, machines industrielles, trains, signalétique RER, Corail, TGV…
Un héritage pérenne
Distingué par le Grand Prix national de la création industrielle en 1985, puis nommé Commandeur des Arts et des Lettres en 1992, Tallon a semé les graines du design moderne en France.
Plus qu’un créateur d’objets, il a été un architecte d’ensembles, un bâtisseur de sens, laissant aux générations suivantes un véritable « système design » incarné.
Références :
- Roger Tallon. Le design en mouvement. Dominique Forest & Françoise Jollant (dir.). Catalogue de l’exposition du Musée des Arts décoratifs (2016) : un panorama extrêmement riche de son œuvre, appuyé par les archives qu’il a lui-même léguées.
- Roger Tallon. Gilles de Bure & Chloé Braunstein. Edition Dis‑Voir, Paris, 2000. Monographie exhaustive, indispensable pour saisir la diversité de sa production et sa pensée globale.
- Roger Tallon, itinéraires d’un designer industriel. Thierry Grillet, Musée national d’art moderne / CCI, 1993